Lorsque l’on aborde les méthodes agiles, nous entendons souvent parler de serious games, d’innovation games. Une rétrospective Scrum sans jeu perdrait-elle de sa saveur ? Une conception sans personas serait-elle tout aussi efficace ?
C’est avec brio que Sébastien Ménétrier, coach agile chez Soat nous livre son approche du jeu dans le monde agile.
On a déjà eu l’occasion d’en parler ici ou ailleurs, la pratique du jeu en entreprise est un merveilleux moyen de transmettre du savoir et de la connaissance, via l’utilisation des Serious Games. Cependant, même si cette approche est très efficace, sa mise en place n’est pas forcément triviale, et il existe de nombreux pièges à éviter pour pouvoir tirer le maximum de bénéfices de cette expérience. Nous allons, dans cet article, étudier les divers trucs et astuces à utiliser lors de l’animation d’un jeu, que ce soit avant, pendant, ou après l’animation de la session afin de faire de vous un véritable animateur de jeu !
Avant, la préparation
La première question à se poser est le choix de l’activité. Si vous cherchez à mettre en place un Serious Game pour faire découvrir un concept à vos interlocuteurs, encore faut-il trouver le bon. Quelques critères à prendre en compte pour choisir l’activité la plus pertinente : tout d’abord, il faut bien évidemment déterminer précisément le but que vous vous fixez, le sujet à aborder. Mais c’est loin d’être le seul critère à prendre en compte : combien d’interlocuteurs aurez-vous face à vous ? De combien de temps disposez-vous ? De quel espace pouvez-vous disposez ? Quelles possibilités matérielles avez-vous à votre disposition ?
En effet, chaque jeu que vous avez à votre disposition est prévu pour un nombre donné de personnes, a une durée optimale, et nécessite un temps donné et un matériel particulier.
D’autre part, privilégiez un jeu que vous avez déjà eu l’occasion de pratiquer en tant que joueur, ce qui vous permettra de mieux en appréhender le rythme, et d’éviter les pièges. Ce point est d’autant plus important si vous n’avez qu’une faible expérience dans l’animation de ce type d’atelier. L’expérience venant, une simple lecture de la description du jeu peut être suffisante pour être capable d’en sentir l’intérêt, le rythme, et donc de l’animer.
Il peut être aussi intéressant de se préparer un planning d’animation du jeu : prévoir combien de temps sera nécessaire pour la présentation du jeu et l’explication des règles, pour son animation en tant que tel, et pour son débriefing.
Suivant le jeu sélectionné, il peut aussi être pertinent de détailler la phase d’animation. Beaucoup de jeux vont proposer un certain nombre de tours, des phases différentes, des temps de débriefings intermédiaires… Il faut donc prévoir combien de temps chacune de ces étapes va durer, pour éviter d’être déborder en cours de partie. En effet, si le jeu est mal timeboxé, le temps de débriefing en pâtira. Or, c’est la période la plus importante de votre session !
L’explication des principes et règles du jeu est toujours un point compliqué. Il est important de s’y préparer, et même de répéter devant un public. Pensez bien la structure de vos explications. Commencez toujours par présenter le but (le « quoi ») avant de parler des règles (le « comment »).
De la même manière, préparez votre débriefing. Notez les différents points que vous souhaitez aborder à la fin de l’exercice pour être certain de ne pas oublier un point capital de votre démonstration dans l’euphorie du moment.
Listez et préparez à l’avance l’ensemble du matériel dont vous aurez besoin. Pensez aussi à aller voir la salle dans laquelle se déroulera votre prestation, pour vous assurer de la présence d’un nombre suffisant de tables, de chaises, d’un tableau blanc… N’oubliez pas que l’atelier que vous allez animer est par nature assez bruyant. Si votre jeu nécessite la répartition de votre auditoire en plusieurs équipes, assurez-vous de disposer de suffisamment d’espace pour que les équipes puissent se répartir dans la pièce sans se gêner, pour éviter les risques non négligeables de cacophonie.
A ce titre, si vous prévoyez de devoir gérer un grand nombre d’équipe, il peut être intéressant de penser à co-animer votre session, en prenant avec vous un ou plusieurs assistants. Ces assistants devront, tout comme vous, connaître et maitriser le jeu que vous comptez faire pratiquer, et seront là pour répondre aux différentes questions en cours de jeu, pour maintenir un rythme optimal.
Une fois que tout ceci est prêt, il ne vous reste plus qu’à lancer les invitations ! Attention toutefois. Le terme même de « jeu » est encore assez mal perçu dans de nombreuses entreprises. N’aller pas vous aliéner une partie de votre public par l’utilisation d’un mot malheureux. Vous, vous savez que vous allez les faire jouer, et vous êtes conscient de la pertinence de la démarche, mais il serait dommage de braquer un auditoire rétif. Ainsi, plutôt que de parler de Serious Game, parler d’exercice de formation ou d’atelier de travail. Vous aurez tout le temps, une fois que la séance aura été un succès, de parler à vos interlocuteurs maintenant convaincus, de l’intérêt de l’utilisation du jeu en entreprise.
Pendant, l’animation
Le jour J est arrivé, toutes les personnes conviées sont présentes, il est temps de se lancer ! L’idée maitresse à garder en tête, pendant toute l’animation, est de maintenir le rythme en évitant les temps morts.
La première chose à faire est de planter le cadre. Il s’agit donc dans un premier temps de définir l’objectif de la session. On pourra ainsi commencer par expliquer, en quelques mots, le but de l’exercice : « nous sommes ici pour manipuler les différents concepts de la méthodologie Scrum » ou encore « nous allons expérimenter la différence entre un flux poussé et un flux tiré ». Ne rentrez cependant pas dans les détails tout de suite. Il ne s’agit pas, en effet, d’anticiper sur la phase de débriefing, et il est beaucoup plus profitable de laisser les participants arriver aux bonnes conclusions par eux même.
Vient maintenant la phase délicate de l’explication des règles. Deux principes primordiaux à respecter : suivez scrupuleusement le plan que vous avez établi lors de la préparation, et soyez bref. Pour le premier point, il est effectivement capital de dérouler vos règles en suivant la logique que vous aurez définie préalablement. C’est d’autant plus important si vous co-animez votre session. Mettez-vous bien d’accord avant de débuter avec votre co-animateur : idéalement, il ne devrait y avoir qu’une seule personne pour expliquer les règles, et cette personne ne devrait pas être interrompue. Pour le second point, évitez les explications superflues. La plupart des jeux n’ont pas besoin de la connaissance de l’ensemble des règles pour pouvoir débuter une partie. Lancez-vous vite, éventuellement, si le jeu le permet, faites un tour à blanc, ou encore un tour où c’est vous qui jouez en commentant vos actions. Vous pourrez ensuite ajouter de nouveaux éléments au fur et à mesure du déroulement de la partie.
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Dernier point concernant les règles : attendez-vous à devoir les répéter souvent en cours de partie. La pédagogie est l’art de la répétition, et c’est d’autant plus vrai dans le cadre d’un jeu. Vous allez donc répondre à des questions, éclaircir des points mal appréhendés, revenir sur des points obscurs, et recadrer quand vous constaterez que vos joueurs ne suivent pas exactement les règles prévues. Soyons donc à l’écoute et à l’affut !
Concernant votre attitude durant la partie, outre ce côté « à l’écoute », il est aussi de votre devoir de vous montrer enthousiaste et dynamique, d’une part pour garantir le rythme de la session et éviter les temps morts, d’autre part, pour que les gens s’amusent. En effet, en dehors de toutes considérations sociales, un des éléments qui fait d’un jeu un bon outil d’apprentissage est que la mémoire fonctionne beaucoup mieux dans les moments tristes ou joyeux. Le jeu étant intrinsèquement générateur de bonne humeur, il est donc totalement adapté à un objectif pédagogique, et la partie fun de l’exercice n’est donc pas à négliger.
Pour les sessions où plusieurs équipes vont participer, il est important que tout le monde fonctionne sur le même rythme. Par exemple, sur un jeu se déroulant en différents tours, assurez-vous que chaque équipe ait bien fini le tour 1 avant de commencer le tour 2, quitte à refréner un peu l’enthousiasme des plus rapides. Les jeux par tour faisant souvent intervenir des événements, ou des explications de mécanismes en cours de route, il est de ce fait indispensable que tout le monde soit sur le même rythme de jeu, pour éviter de vous retrouver dépasser par la situation. De même, si les joueurs sont un peu longs, n’hésitez pas à limiter le temps d’un tour de jeu. Il faut en effet être certain d’avoir suffisamment de temps pour le débriefing final.
Gestion des réfractaires
Reste un point épineux à aborder : la gestion des réfractaires. Avant toute chose, il faut garder en tête que l’immense majorité des personnes vont se prêter au jeu sans trop de problème, et une fois les premiers tours lancés, même les plus sceptiques vont devenir enthousiastes. Néanmoins, ce n’est malheureusement pas toujours le cas, et il arrive parfois que nous ayons en face de nous des personnes refusant de jouer. Plusieurs types de profils sont susceptibles de vous poser des problèmes.
Les timides.
Jouer, c’est s’exposer, se dévoiler. Ce n’est pas forcément facile pour tout le monde, surtout dans un contexte professionnel, où des gens de plusieurs niveaux de hiérarchie peuvent se retrouver autour de la même table. Si des personnes sont intéressées par le déroulement du jeu, mais n’osent pas participer à la partie, confiez leur un rôle d’observateur. Vous pourrez, lors du débriefing, vous appuyez sur leur observation détachée de la partie pour étayer votre démonstration.
Les joueurs trop joueurs.
Certaines personnes vont peut-être avoir trop tendance à se focaliser sur le côté « game » et pas assez sur le côté « serious ». D’un côté, cela peut être générateur d’amusement, de plaisir et permettre à tout le monde de se mettre dans l’ambiance. D’un autre côté, cela peut aussi déraper, si vous avez affaire à des mauvais joueurs, et vous pouvez vous retrouver avec une personne qui va pester pendant de longues minutes parce que s’il perd, c’est qu’il a fait un mauvais jet de dé, et que de toutes façons ce jeu est nul. Ce type de comportement et évidemment préjudiciable pour la personne concernée, mais aussi pour l’ensemble des participants. Dans ce genre de circonstance, n’hésitez pas à rappeler que si, certes, le facteur jeu est important, l’élément primordial reste l’apprentissage.
Les hostiles.
Jouer, c’est une perte de temps. D’ailleurs, s’il avait su qu’on était là pour jouer, il ne serait pas venu. Cette personne n’est pas contente d’être là, et elle va le faire savoir. Si vous détectez ce genre de comportement (heureusement extrêmement rare), n’essayez pas de le forcer à participer, cela ruinerait totalement l’expérience. Prenez la personne à part, proposez lui de quitter la session, et, éventuellement, de venir participer uniquement à la partie débriefing.
Après, le débriefing.
Vient maintenant la phase clé de votre exercice, le débriefing. On ne le répètera jamais assez, cette phase est capitale, il ne faut donc pas la négliger et donc lui réserver suffisamment de temps. Si jamais vous voyez que votre partie prend plus de temps que prévu, il peut être judicieux de l’écourter, de ne pas jouer les derniers tours, pour avoir un temps suffisant pour débriefer. Tous les jeux ne le permettent pas, mais beaucoup de jeux longs (qui sont ceux le plus susceptibles de déraper) peuvent facilement s’écourter au besoin, en supprimant les derniers tours (on pensera par exemple au Kanbanzine ou au Lego4Scrum).
La première question à poser lors de votre débriefing est : avez-vous passé un bon moment ? En effet, comme dit plus haut, le côté amusant de l’exercice est indispensable à sa réussite.
Ensuite, il est intéressant de procéder de manière participative. Vous pouvez par exemple demander aux participants quels sont, selon eux, les différents points que l’on a voulu mettre en avant dans cet exercice, et vous notez les réflexions au fur et à mesure sur un tableau blanc. L’objectif est de recueillir les réflexions de chacun, il n’est pas encore temps d’en débattre. Une fois que tout le monde s’est exprimé, vous allez pouvoir aborder les différents points notés, mais en les enchainant dans l’ordre que vous aurez prévu lors de la préparation de votre débriefing. Vous garderez ainsi un déroulement logique de vos explications.
N’hésitez pas à interroger les joueurs, à leur demander quelle a été leur réaction face à tel ou tel élément de jeu, quelle a été leur stratégie, et pourquoi. Et surtout, faites la corrélation avec le monde réel : demandez-leur si les situations rencontrées dans le jeu sous forme de métaphore font écho à des éléments qu’ils peuvent rencontrer dans la vie de tous les jours, sur leurs projets, dans leurs équipes.
Pour conclure
Animer un jeu n’est pas forcément simple, mais la puissance du jeu en tant qu’outil pédagogique est telle qu’il serait dommage de s’en passer. Lancez-vous ! Une bonne préparation, un plan détaillé du déroulement de la session, une bonne tenue de votre rythme, et votre session se déroulera sans accroc. Et l’expérience s’accumulant, l’animation de jeu deviendra chez vous une seconde nature.
A noter que tout ce qui a été dit ici sur l’animation de session de Serious Games est aussi totalement adapté à l’animation des Innovation Games.