En une cinquantaine d’années, du LEAN de Toyota en 1960 à nos jours, les méthodes agiles ont creusé leur sillon.
Etant élevée au rang de discipline à part entière depuis plus de quinze ans, l’agilité a créé ses propres méthodes, ses propres outils et a suscité l’émergence de nouveaux métiers : Scrum master, product owner, manager agile, coach agile…
Lors de mes interventions opérationnelles, il est de plus en plus fréquent que certains collègues me demandent quel a été mon parcours pour devenir coach agile et en quoi consiste ce métier.
Aujourd’hui, pour répondre à cette question sous un angle nouveau, j’ai choisi de vous parler de l’un des plus grands, de l’un des premiers « coach agile ». Agiliste dans tous les sens du terme depuis 1965 et pratiquant l’agilité sans y apposer le terme “AGILE” bien avant la rédaction du manifeste rédigé en 2001. J’ai nommé : BRUCE LEE.
Quand ce dernier a commencé à devenir célèbre au début des années 1970, le monde a été émerveillé. Un martialiste au meilleur de sa forme, une présence captivante à l’écran et en personne.
Bruce Lee était humble, intelligent et éloquent. Une combinaison qui a brisé avec succès le stéréotype des Chinois qui apparaissaient dans le cinéma hollywoodien de l’époque.
Au-delà de ses performances d’acteur, Bruce Lee est surtout le créateur du Jeet Kune Do, la “voie du poing qui intercepte”, un art martial qui n’est pas à proprement parler un style de combat : Bruce Lee ne croyait plus à cette époque aux dogmes et styles de combats pré-établis et figés par leurs fondateurs des années auparavant, mais croyait plutôt à un concept englobant des stratégies de combat.
Mais quel est le rapport me direz-vous, entre Bruce Lee et le métier de coach agile ? Entre le JKD et SCRUM ?
Un cadre de travail & un état d’esprit plus qu’une méthode
Tout comme SCRUM, qui n’est pas une méthode, le JKD est un framework, un cadre, guidant le néophyte vers la recherche du mieux (amélioration continue) en reposant sur des principes et des valeurs, sans établir une manière de fonctionner précise.
Respectez les principes sans être enchaîné par eux.
Le Jeet Kune Do (JKD pour les intimes) repose sur des principes LEAN (gestion du gaspillage) et AGILE :
Taïchi Ohno, père fondateur du Système de Production Toyota et du LEAN en 1960 a défini 3 familles de gaspillages : Muda (tâche sans valeur ajoutée, mais acceptée), Muri (tâche excessive, trop difficile, impossible), Mura (irrégularités, fluctuations).
Il suggère, à travers le LEAN, que pour créer efficacement de la valeur, il est indispensable d’identifier les gaspillages, de les définir et de les éliminer ou de les réduire, afin d’optimiser les processus de l’entreprise.
En 1967, en créant le JKD, Bruce lee pose comme valeur fondatrice de son art martial :
Absorbe ce qui est utile, rejette ce qui ne l’est pas
ou encore
Il ne s’agit pas d’une augmentation au quotidien mais d’une baisse quotidienne. Débarrassez-vous du non indispensable.
Par ailleurs, d’après le SCRUM GUIDE, Scrum se base sur la théorie du contrôle empirique de processus, aussi appelé l’empirisme :
L’empirisme soutient que les connaissances proviennent de l’expérience et d’une prise de décision basée sur des faits connus. SCRUM utilise une approche itérative et incrémentale pour optimiser la prédictibilité et pour contrôler le risque.
Or, tout comme Scrum, le JDK repose sur une approche empirique et on analyse fine des processus.
Comme le dit Bruce Lee :
Cherche à comprendre la racine. Il est futile de donner son avis sur telle feuille, telle forme de branche ou sur la beauté de telle fleur. Si tu comprends la racine, tu comprends tout le processus d’éclosion.
A ce stade de la lecture, il est normal que vous soyez toujours sceptique sur la forte corrélation entre les arts-martiaux et l’Agilité.
Laissez-moi, pour continuer de vous convaincre, énumérer quelques principes et valeurs agiles et faire la corrélation entre eux les principes du JKD.
Du LEAN vers le JKD : Des principes et des valeurs en communs
Trois piliers soutiennent l’implémentation d’un contrôle empirique de processus : la transparence, l’inspection et l’adaptation.
Ces piliers fonctionnent en symbiose avec les valeurs et principes AGILE sur lesquels reposent toutes les méthodes et framework AGILE : SCRUM, LEAN, KANBAN, XP, …
Etudions maintenant la corrélation entre les principes agiles, tels que définis dans le manifeste agile et quelques principes du JKD :
12èm principe du manifeste agile : L’amélioration continue
Le manifeste agile indique qu’à intervalles réguliers, l’équipe agile réfléchit aux moyens de devenir plus efficace, puis règle et modifie son comportement en conséquence.
Voyons ce qu’en dit notre agiliste martialiste :
Ne crains pas l’échec. Ce n’est pas l’échec, mais le manque d’ambition qui est un crime. Avec des objectifs élevés, l’échec peut être glorieux.
Je ne crains pas un homme qui a pratiqué 10.000 coups une fois, mais je crains l’homme qui a pratiqué un coup 10.000 fois.
Si vous mettez toujours des limites à ce que vous faites, physiques ou autres, elles se répandront dans votre travail et dans votre vie. Il n’y a pas de limites. Il y a des niveaux seulement, et vous ne devez pas en rester là, il faut aller au-delà.
Par ailleurs, avez-vous déjà comparé la roue de DEMING, produite dans les années 1950 avec le processus d’amélioration du JKD ? Surprenant ? Pas vraiment, ces deux “théories” cherchent l’amélioration continue à partir d’un processus empirique.
De nombreux faits que nous allons découvrir ensemble semblent indiquer que Bruce Lee, né aux Etats Unis, curieux de nature et ayant accès aux grandes théories formalisées à l’époque se soit inspiré (et oui, pas l’inverse !) des courants LEAN pour créer le JKD.
11em principe du manifeste agile : L’auto-organisation des équipes
Les principes agiles induisent que les meilleures architectures, développements, spécifications ou conceptions émergent d’équipes auto-organisées :
Ne vous préoccupez pas de savoir qui a raison ou qui a tort ou de ce qui est mieux. Ne soyez ni pour ni contre
10em principe du manifeste agile : La simplicité
La simplicité – c’est-à-dire l’art de minimiser la quantité de travail inutile – est essentielle.
La simplicité est la clef du succès
Il ne s’agit pas d’une augmentation au quotidien mais d’une baisse quotidienne. Débarrassez-vous du non indispensable
7em principe du manifeste agile : Le logiciel opérationnel
Un logiciel opérationnel est la principale mesure d’avancement.
Connaître ne suffit pas. Il faut savoir appliquer. La volonté ne suffit pas. Il faut savoir faire.
6em principe du manifeste agile : La communication face à face
Comme l’étudie Alistair Cockburn (Elu 5em meilleur théoricien de l’histoire par le Times) : La méthode la plus simple et la plus efficace pour transmettre de l’information à l’équipe de développement et à l’intérieur de celle-ci est le dialogue en face à face.
Pour se connaître soi-même il faut s’étudier en action avec une autre personne.
3em principe agile : Livrez fréquemment
Livrez fréquemment un logiciel opérationnel avec des cycles de quelques semaines à quelques mois et une préférence pour les plus courts.
Si tu passes trop de temps à réfléchir à une chose, tu ne passeras jamais à l’action. Il est important de faire chaque jour un pas vers son objectif
2em principe agile : L’adaptation au changement
Accueillez positivement les changements de besoins, même tard dans le projet. Les processus agiles exploitent le changement pour donner un avantage compétitif au client.
Vide ton esprit, sois informe. Informe, comme l’eau. Si tu mets de l’eau dans une tasse, elle devient la tasse. Tu mets de l’eau dans une bouteille et elle devient la bouteille. Tu la mets dans une théière, elle devient la théière. Maintenant, l’eau peut couler ou elle peut s’écraser. Sois de l’eau, mon ami
Notez que l’arbre est plus facilement brisé, tandis que le bambou survit en pliant avec le vent.
1er principe agile : La satisfaction du client
Enfin, n’oubliez pas qu’en agile, LA plus haute priorité est de satisfaire le client en livrant rapidement et régulièrement des fonctionnalités à grande valeur ajoutée.
Des Arts Martiaux vers l’Agilité
De nos jours, l’Agilité se trouve extrêmement malmenée : Lors de mes interventions j’entends souvent dire par exemple « SCRUM NE FONCTIONNE PAS ! » alors qu’en fait, c’est la manière dont SCRUM a été appliqué qui est en cause. Et il revient à nous, martialiste agile, de guider nos collaborateurs dans la voie AGILE.
Ne crains pas l’échec. Ce n’est pas l’échec, mais le manque d’ambition qui est un crime. Avec des objectifs élevés, l’échec peut être glorieux.
Mais comment faire pour guider des néophytes vers la bonne voie, leurs enseigner les bonnes pratiques ?
Pour rester dans l’esprit de cet article, laissez moi vous conter une anecdote vécue lors de l’accompagnement d’un client dans sa transition agile :
L’approche AGILE SHU HA RI
Le « Shu Ha Ri » est, à l’origine, un concept décrivant les différentes étapes d’apprentissage des arts martiaux. Ce concept a été, par la suite, appliqué chez Toyota dans leur approche LEAN.Le « Shu Ha Ri » est constitué de 3 étapes par lesquels un novice doit passer pour acquérir une compétence ou maîtriser une technique:
- Shu : le disciple apprend les fondamentaux en suivant les règles édictées par le maître
- Ha : ayant maîtrisé les fondamentaux, le disciple applique les règles en les questionnant, en comprenant leurs subtilités et en cherchant les exceptions
- Ri : le disciple ayant maîtrisé les règles, peut les transcender et les adapter
Lors de la transformation AGILE chez ce client, nous avons eu recours avec succès au modèle du « Shu Ha Ri » afin de structurer notre mission d’accompagnement et le passage des compétences agiles à l’équipe projet. Nous avons opté pour ce modèle car il est simple et qu’il a fait ses preuves chez Toyota.
Nous avons réussi à convaincre le client de procéder de manière incrémentale en planifiant 3 livraisons de l’application espacée entre-elles de 3 mois et avons procédé comme suit :
Le SHU : 1ère livraison
Les coachs AGILE sont les décisionnaires du projet (pilotage du projet, arbitrages fonctionnels, arbitrages techniques) et les apprentis agilistes sont les clients et se conforment aux décisions des experts.
Par conséquent, NOUS portons la responsabilité des résultats de cette première livraison.
Lors de cette phase, nous intervenons par exemple dans la création du backlog, dans la rédaction des user story, dans la mise en place du management visuel, dans la selection de la méthodologie à appliquer, dans la définition des tâches, bref sur toute la chaine projet de bout en bout.
Le HA : 2nd livraison
Les coachs agile cèdent leurs rôles de décisionnaires au profit des apprentis agilistes client. Par la suite, les coach se positionnent plus en tant qu’accompagnants pour aider les apprentis dans leurs tâches et les conseiller.
D’où, la responsabilité des résultats de cette deuxième livraison revient à l’équipe du client.
Lors de cette phase, nous créons une liste de tâche à réaliser et la confions au membres de l’équipe du client. Nous ne portons nous-même la responsabilité d’aucune tâche mais intervenons nous-même si nous reçevons des sollicitations.
Le RI : 3eme livraison
Dans la troisième et dernière phase, nous quittons l’équipe pour laisser le client gérer le projet seul.
Nous identifions des « coach agile relais », ayant les plus d’appétences AGILE au sein des équipes afin de continuer à diffuser les bonnes pratiques au sein du projet et finaliser l’accompagnement du client vers son autonomie agile.
C’est fini ! Merci d’avoir lu ces lignes. Je trouvais intéressant de vous partager ma vision de la double inspiration : Du Lean de Toyota vers le JKD de Bruce Lee vers la “modern Agility”.
J’espère aussi avoir apporté un peu d’éclaircissement quant au métier de « coach agile » au travers de cet article volontairement et résolument atypique.
Si non, voici ce métier résumé en UNE UNIQUE image :
Et plus sérieusement, pour une découverte plus classique du sujet vous trouverez ci-dessous d’excellents articles décrivant le métier de coach agile que je vous laisse le loisir de découvrir :
- Du Scrum Master au coach, une mutation de Géraldine Legris
- Je suis un coach’Agile d’Alexandre Boutin
- Coach Agile, bien plus qu’un coach de Jean Claude Grosjean
- Le coaching agile c’est quoi ? de Agile Garden
- Ma mission ? Coach agile, coach de transformation de Richard Volodarski
N’hésitez pas à laisser vos feedbacks dans les commentaires !
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