Devenir product manager n’est pas une mince affaire. En effet, malgré l’explosion récente des formations, cours, meet-up ou autres pour développer leur expertise, la principale façon de les former est qu’ils se fassent de l’expérience et construisent leur compétences sur le terrain.
Mais alors…comment accompagner les product managers rejoignant une structure (équipe, organisation) pour qu’ils s’approprient le(s) produit(s) et montent en compétence sans être touché par le syndrome de l’imposteur (syndrome souvent renforcé par le manque de réponse inévitable lors de l’on-boarding) et /ou sans endosser une posture parfois autoritaire de protection de soi ?
Si les géants de la technologie, comme Google ou Facebook, mettent en place des lourds programmes d’accompagnement, peu efficaces, de leurs PM, à l’opposé, les start-ups transforment souvent, sans le savoir, leurs salariés en excellents product managers en se passant de processus lourds et compliqués. Ceci étant principalement dû au fait que dans ces structures légères, ils peuvent “grandir” en même temps que leurs produits.
Au travers de cet article, je vais donner mon retour d’expérience pour permettre aux grandes organisations, par définition plus rigides que les start-up, de bénéficier des bonnes idées et pratiques de celles-ci pour former les product managers.
Vous avez dit “product manager” ?
Avant tout, nous devons commencer par décrire ce qu’est un product manager… et la tâche n’est pas aisée. En effet, comme souvent, la réponse dépend directement de votre contexte.
Ainsi, plus qu’apporter une réponse toute faite (et souvent fausse), posez-vous les questions suivantes :
Dans votre contexte, quels sont les rôles et responsabilités d’un product manager ? A quoi sert-il dans votre organisation ? Quel problème résout-il ?
Vos réponses à ces questions impliquent souvent que l’individu en face du rôle soit très senior et extrêmement sachant sur le (ou les) produit. Qu’il connaisse parfaitement ses utilisateurs, le business, la technique…
Lors du recrutement d’un nouveau product manager, un problème majeur à résoudre est l’inévitable syndrome de l’imposteur qui s’installera presque inévitablement sans expérience poussée autour de ces sujets.
Il est donc important de mettre en place un accompagnement qui permette leur montée en compétence et le renforcement de leur confiance tout en apportant de la valeur à l’organisation le plus rapidement possible.
Mais comment atteindre cet objectif ? Cela va essentiellement passer par votre manière d’adresser un besoin comme nous allons le voir dans le prochain chapitre.
Le découpage est structurant !
Pour faire référence aux questions du chapitre précédent, les activités du product manager s’étendent généralement des activités stratégiques (telles que définir la vision), jusqu’au suivi des objectifs mesurables post-release en passant par une compréhension systémique, une vue de la technique et les activités qui visent à activer d’autres équipes que les équipes de développement, telles que le marketing ou la communication. En se focalisant sur la “gestion de produit”, nous avons identifié 6 activités principales :
- Définir la vision du produit
- Élaborer la stratégie du produit
- Découverte et validation des attentes des utilisateurs
- Priorisation & Hiérarchisation des attentes et des besoins
- Définition et validation des solutions
- Donner du sens à la release (quand et quoi livre-t-on)
Ces 6 activités, toutes stratégiques, sont lourdes à porter pour un product manager récent au sein d’une organisation.
Tranche horizontale – La tranche SAFe
Certaines entreprises, en particulier celles qui utilisent SAFe (Scaled Agile Framework), s’attaquent au sujet en créant un rôle de product manager ayant des responsabilités horizontales.
Dans cette configuration, les product owners sont responsables des activités opérationnelles tandis que le product manager est souvent responsable des activités énumérées ci-dessus.
L’organisation mise alors sur le fait qu’après un certain temps, un des product owner sera suffisamment aguerri pour devenir product manager.
Bien que le fait de “passer par la case Product owner” puisse sembler être un bon moyen pour former un product manager, cette solution n’est pas sans problèmes.
Impact sur l’entreprise
En effet, l’entreprise a besoin que les bons problèmes, alignés sur la vision et la stratégie, soient résolus de la bonne manière. Cependant, lorsque les responsabilités sont réparties horizontalement :
1. Le product owner n’a pas suffisamment de contexte client pour prendre des bonnes décisions. En effet, ils ont peu accès aux utilisateurs et y accèdent généralement via le product manager mettant inexorablement en place une chaîne interprétation amenuisant la satisfaction de ceux-ci.
Sans ces données et à cause du manque de compréhension que cela provoque, ils sont plus susceptibles de construire un produit ne correspondant pas tout à fait aux besoins des clients.
2. Le product owner ne possède pas une vision globale, transverse, nécessaire à une bonne priorisation inter-features.
C’est le pire des deux mondes: les mauvais problèmes sont susceptibles d’être résolus de la mauvaise manière. Comme le dit Cagan dans Product Manager vs Product Owner, pour “révéler” un excellent product manager :
“It is precisely this combination of deep customer understanding with the ability to apply technology to solve customer problems that enables a strong product person.”
Impact sur l’individu
Non seulement ce modèle fait défaut à l’entreprise, mais il s’avère souvent néfaste pour un product manager en phase de montée en compétence :
- Le passage par la case product owner n’est ni suffisant ni nécessaire pour devenir un bon product manager : Les organisations ne confient que rarement des responsabilités de PM aux POs et on ne les confrontent que trop tard à ces problématiques.
- Donner plus de responsabilités à un PO “pour le faire grandir” diminue mécaniquement l’influence de son PM, ce qui peut-etre source de tensions.
Un product owner ayant comme perspective de carrière de devenir product manager, dans cette situation, soumis au stress, à certaines tensions et sans réel accompagnement bondira sur une proposition d’embauche en tant que PM à la première occasion…ce qui pourrait aggraver pour lui les choses car son nouvel employeur potentiel notera sans doute rapidement son manque d’expérience sur les problématiques d’un product manager.
Ainsi, dans ce type d’organisation, il est difficile de faire grandir un product manager.
Voyons maintenant une autre option possible 🙂
La tranche verticale – Minimum Viable Product Manager
Vous connaissez sans doute l’approche MVP… et bien nous nous sommes inspirés de cette philosophie pour définir le rôle de minimum viable product manager. Nous allons en décrire les avantages dans le prochain chapitre.
Pour en revenir à notre question précédente : “Quelles sont les responsabilités d’un product manager arrivant dans une organisation ?”, ma réponse est simple : TOUT ! Alors pour éviter son implosion, nous avons pensé au rôle de MVPM qui endosse le même responsabilité…mais en petite quantité, pour diminuer l’incertitude, les risques, faciliter sa montée en compétence et son intégration dans l’entreprise.
Plus schématiquement :
Aussi intimidant qu’il puisse paraître, ce modèle permet au product manager nouvel arrivant de se confronter au plus tôt à ses responsabilités, sans que cela soit trop compliqué pour lui et risqué pour l’entreprise, tout en livrant très rapidement de la valeur… en étant accompagné et binomé par un product manager “à large spectre” plus expérimenté.
Tout aussi important : l’entreprise profite pleinement d’avoir une personne extrêmement compétente sur un domaine restreint : Sur une problématique “suffisamment petite”, un product manager “junior” peut développer une compréhension et connaissance très approfondie de ses utilisateurs, de son périmètre produit et même de la technologie… ce qui maximisera les chances de construire de bonnes choses de la bonne manière !
Accompagner au mieux un Product manager
Alors par où commencer ? Comment former au mieux les product managers ? Comment tenir compte de leurs forces existantes ? En effet, ils ont tous différents atouts selon leur parcours. Par exemple, une personne issue du monde de l’ingénierie se familiarisera plus facilement avec le fait de donner du sens à une release technique qu’une personne issue de l’analyse commerciale ou du marketing.
Le framework ci-dessous fonctionne pour les personnes ayant peu d’expérience dans le monde logiciel. Il a pour avantage d’introduire progressivement tous les éléments de travail de manière sûre et contrôlée en renforçant progressivement les compétences d’un product manager “débutant” dans ce rôle.
Bien entendu, les délais sont donnés ici à titre indicatif et doivent être ajustés en fonction des antécédents de la personne et du contexte de l’entreprise. L’objectif est qu’à la fin de leur première année, le PM couvre toutes les couches de sa tranche et soit un MVPM à temps plein.
Dans l’idée, au cours des premières semaines, le product manager doit croiser ses utilisateurs et organiser la première livraison de valeur. L’idée est de mettre le product manager devant les personnes qui utilisent et / ou achètent le produit afin qu’il puisse commencer à récolter du feed-back.
Idéalement, il peut être intégré à une équipe déjà mâture, avec un backlog priorisé et des fonctionnalités prêtes à être développées. Le product manager aura alors à définir comment mesurer l’impact et le succès de ces fonctionnalités sur ses utilisateurs (monitoring de l’expérience utilisateur, kpis, indicateurs, analyses, …).
À ce stade, un product manager plus expérimenté doit encore être fortement impliqué et binomer au quotidien avec le MVPM.
Au cours des trois premiers mois, le MVPM doit lui-même imaginer des solutions aux problématiques remontées par les utilisateurs et/ou le monitoring qu’il aura lui-même mis en place. Au delà d’imaginer des solutions, il devra aussi suivre l’aboutissement de celles-ci jusqu’à leur mise en production. Mesurer leurs succès et définir les prochaines étapes de vie de son produit (on se rapproche de la vision ;)).
À la fin des six premiers mois, le MVPM à vécu plusieurs cycles d’apprentissages et a vécu en étant suffisamment exposé aux problématiques autour de son produit pour en donner une vision claire (remontée des utilisateurs, gestion du backlog, aligner les équipes sur la vision, co-définir la stratégie commerciale, …)
À la fin de la première année, le MVPM peut devenir product manager en intégrant au fur et à mesure d’autre domaine gravitant autour de son produit minimum.
La métaphore de l’échelle de carrière
Finalement, lorsqu’on parle de carrière d’un Product Manager, on parle simplement d’échelle, d’ajuster un ZOOM :
On commence par fortement zoomer en commençant petit avec un produit simple qui va grandir en y ajoutant d’autres fonctionnalités et/ou d’autres produits en entrant par exemple sur de nouveaux marchés.
Seulement voilà, au fur et à mesure, il est de plus en plus difficile de se projeter : Est-ce que les nouvelles fonctionnalités vont fonctionner ? Plus le produit grandit, plus les paris sont risqués et plus le risque et grand.
Pour finir, Melissa Perri contextualise ceci dans le schéma suivant :
Ainsi, le développement naturel de la carrière d’un MVPM passe par l’élargissement de ses responsabilités stratégiques et la diminution de son implication de terrain.
Finalement le binomage est nécessaire pour réussir à chaque étape, gagner en confiance et finalement pour passer à l’étape suivante.
Si vous voulez en savoir plus, j’ai donné une conférence qui explore l’échelle de carrière en gestion de produits, la résilience émotionnelle et l’échec des produits chez Jam London en 2019. Vous pouvez la voir ci-dessous :