Dans le cadre de Scrum, la rétrospective est une réunion positionnée à la fin de chaque sprint (sprint = itération) pendant laquelle l’équipe Scrum met à profit son vécu sur le sprint écoulé pour améliorer son organisation afin d’être plus efficace. La rétrospective est donc un élément clef du principe d’amélioration continue rendant une équipe auto-apprenante.
Comment exploiter au maximum ce levier d’amélioration ? Comment faire en sorte que chacun exprime son point de vue, que la rétrospective porte ses fruits avec des améliorations notables, qu’elle reste vivante malgré sa répétition. C’est à ces questions que je propose de répondre dans cette fiche pratique. J’y aborde également d’autres usages de la rétrospective.
Je tiens à rendre à César ce qui est à César en précisant que le contenu de cet article est bien évidemment issu de ma propre expérience mais aussi des enseignements donnés par le livre « Agile Retrospectives – Making Good Teams Great » de Esther Derby et Diana Larsen.
Récolter les points de vue de chacun
Il y a autant de vérités que de points de vue. Autant de points de vue que de personnes. Chaque vision permet de voir un problème ou une idée sous un angle différents pour mieux le résoudre ou la faire grandir. C’est ce qu’on peut appeler l’intelligence collective et différents facteurs permettent de favoriser cette dernière.
La posture de coach
Qu’est ce qu’un coach ? Voici ma définition personnelle : un coach est quelqu’un qui va aider une personne à trouver elle même les réponses à ses questions pour lui permettre d’atteindre un résultat qu’elle s’est fixé. Cette activité repose sur une croyance fondamentale : « la personne coachée dispose des ressources nécessaires pour atteindre le résultat visé« . On utilise souvent la métaphore de la graine qui contient toutes les informations nécessaires pour grandir et devenir un arbre. Pour l’anecdote, étymologiquement parlant, « coach » vient de « cocher » (l’ancêtre du chauffeur de taxi) qui amène une personne d’un point A à un point B.
L’animatrice ou animateur de la rétrospective doit adopter une posture de coach vis à vis de l’équipe et renoncer ainsi à la tentation de dire à cette dernière quoi faire en apportant des solutions toutes faites. C’est un exercice qui peut se révéler particulièrement difficile pour un ex-chef de projet habitué à dire aux membres de son équipe quoi faire, comment le faire et quand le faire. Surtout si cet ex-chef de projet a une formation d’ingénieur avec un cerveau « câblé » pour apporter des solutions à des problèmes.
Sans cette posture de coach, on n’aide pas l’équipe à trouver elle même des solutions, à prendre des initiatives et à innover. On fragilise son engagement à mettre en oeuvre les actions d’amélioration (puisque les actions ne viennent pas d’elle). On peut passer à côté d’idées et de solutions pertinentes. On multiplie nos chances de mettre en place des actions inefficaces voire contre-productives.
Si l’animatrice ou animateur dispose d’une expérience ou expertise particulière qui mérite d’être mise à profit en cours de la rétrospective (le Scrum Master porte par exemple l’expertise Scrum). Elle ou il peut s’impliquer dans la recherche de solution à condition de quitter temporairement le rôle d’animatrice ou animateur et de ne pas décider d’une action d’amélioration, mais plutôt de la proposer à l’équipe. En lui laissant clairement le droit de la juger inopportune. Elle ou il peut influencer mais pas décider.
Pas de jugement ni de recherche de coupable
Il est toujours recommandé d’introduire la rétrospective en mentionnant le fait que l’objectif de la rétrospective n’est en aucun cas de porter des jugements sur ce qui sera dit, en particulier à propos des idées proposées. Ni de rechercher des coupables lorsqu’on mettra sur la table les problèmes rencontrés.
Ce rappel est d’autant plus important si un responsable hiérarchique est présent pendant la rétrospective. Si c’est le cas, l’animatrice ou animateur devra briefer cette personne pour s’assurer qu’elle joue le jeu de la posture de coaching. Cette personne peut même participer à l’introduction est préciser : « Je ne suis là qu’en observateur et en position d’écoute, sentez vous libre de parler de tout, y compris de choses qui, selon vous, pourraient me déplaire ».
Un seul mot suffit parfois
Tout le monde n’est pas à l’aise pour parler devant les autres, proposer des idées, etc. C’est normal et il ne s’agit pas de forcer qui que ce soit à s’exprimer. Par contre, il faut lui en donner l’occasion. De simples tours de table peuvent aider. Et parfois le simple fait qu’une personne réservée ai prononcé un « je passe » peut la débloquer dans la suite des échanges.
L’animatrice ou animateur doit également être attentif aux dynamiques de groupe, notamment lorsqu’une personne monopolise trop souvent la parole. Au quel cas, on peut déclencher une pause et faire observer à cette personne que les autres ont rarement eu l’occasion de s’exprimer, alors que leur point de vue est sans doute intéressant.
La force du silence
Il faut parfois compter jusqu’à 10 dans sa tête après avoir posé une question à l’équipe. Le silence ainsi créé génère un espace libre qui aide l’équipe à réfléchir plus en profondeur pour y chercher une idée ou réflexion difficile à trouver.
Obtenir de véritables améliorations
Obtenir des idées, puis un plan d’actions d’amélioration est une chose. Transformer l’essai en implémentant ces actions en est une autre. Là encore la posture de coach a son importance car l’animatrice ou animateur doit résister à la tentation d’affecter arbitrairement les actions aux membres de l’équipe. Ou inversement, elle ou il doit résister à la tentation de prendre à sa charge les actions (en tant que Scrum Master par exemple). En participant activement aux actions d’amélioration, l’équipe s’habitue à s’auto-organiser et devenir « maître de son destin« au sein du cadre donné par Scrum et l’entreprise ou organisation.
Voici quelques moyens de transformer l’essai :
- Privilégier la qualité des actions à la quantité. 2 ou 3 bonnes actions à mettre en oeuvre d’ici la rétrospective suivante peuvent suffire.
- Rendre les actions SMART (Spécifique, Mesurable, Acceptable, Réalisable, Temporellement définie). Les questions du genre « Comment saurons nous que notre action a porté ses fruits ? » peuvent aider à alimenter la réflexion collective.
- Favoriser l’appropriation des actions par l’équipe en demandant qui serait prêt à prendre en charge telle ou telle action. Prendre la responsabilité d’une action devant le reste de l’équipe favorise l’engagement.
- Transformer les actions en tâches qui se rajoutent au tableau des tâches, kanban ou sprint backlog et sont ainsi estimées et suivies au même titre que les autres.
Garder la rétrospective vivante
Varier les objectifs
L’objectif « générique » de la rétrospective est du genre « Améliorer notre processus de développement pour le rendre plus efficace et plus agréable à vivre ». Il s’agit aussi d’améliorer la qualité du produit et d’adapter en conséquence la définition de « terminé ».
Mais selon l’actualité du projet, rien n’empêche de varier l’objectif d’une rétrospective à l’autre. Voici quelques exemples d’objectifs un peu plus ciblés :
- Améliorer notre réactivité vis à vis des utilisateurs.
- Améliorer notre relation et nos interactions avec le métier et le service marketing.
- Comprendre les raisons pour lesquels l’objectif du sprint n’a pas été atteint.
Attention cependant à ne pas basculer dans le « trop ciblé » et occulter ainsi des sujets qui méritent d’être instruits en rétrospective.
Varier les activités
Les activités d’animation de rétrospective sont nombreuses et variées. Testez en des nouvelles. Vous apporterez ainsi du renouveau à vos rétrospectives et peut être que vous découvrirez une activité qui fonctionne mieux qu’une autre.
A ce sujet, je vous invite à lire la fiche de livre « Agile Retrospectives – Making Good Teams Great » de Esther Derby et Diana Larsen.
Changer d’animatrice ou d’animateur
Après plusieurs rétrospectives, certains membres de votre équipe se sentiront peut être à l’aise – voire se porteront volontaire – pour animer une rétrospective. Profitez en, car c’est également une bonne source de renouveau et vous serez peut être positivement étonné par les résultats. Si personne ne se propose, faite un appel à volontaire. Si la ou le volontaire a besoin de conseils avant de se lancer, rendez vous disponible pour les lui transmettre.
Faire émerger « code » de conduite de l’équipe
Avez vous pensé à utiliser des activités de brainstorming en petits groupes pour définir ensemble le code de conduite de l’équipe lui permettant de rester efficace (un peu à la Dexter pour ceux qui connaissent la série) ? Le « code » qui s’applique à la rétrospective par exemple (exemples d’accords collectifs formant le fameux « code » : « Ne pas prendre de PC portable pendant la rétro et mettre les téléphones en mode silencieux », « chacun parle à tour de rôle », etc). Mais aussi dans le quotidien des itérations (exemple subjectif : « Pas de modification du code source commun à partir de X heures avant la revue de sprint ou livraison. A l’exception de correctifs ciblés et maîtrisés par du pair programming »). Attention, ne dépassez pas 7 ou 8 accords collectifs, sinon c’est impossible à retenir.
La rétrospective de rétrospective
On ne pense pas toujours à améliorer un outil d’amélioration. Pourtant, c’est peut être la meilleure façon d’optimiser le retour sur investissement de la rétrospective. Vous pouvez ainsi façonner des activités spécifiques à votre contexte pour aboutir à VOTRE rétrospective, à une rétrospective sur mesure.
Pour y parvenir il existe différentes activités. L’une d’entre elles est appelée le « +/Delta » et prends seulement 10 à 20 minutes selon la taille du groupe. Elle peut servir pour une rétrospective d’itération, de release ou de projet.
Voici comment procéder :
- Présentez l’activité en disant: « Avant de terminer, nous allons identifier ce que nous voulons garder et ce que nous voulons changer pour notre prochaine rétrospective. ».
- Divisez votre feuille de paper board ou tableau blanc en deux colonnes (une ayant pour titre « + » pour les choses à garder et l’autre « Δ » pour les changements à apporter). Ajouter un titre au dessus (ex : Processus d’amélioration de la rétrospective). Annoncer le temps maximum disponible (cinq à quinze minutes).
- Demandez au groupe de prononcer les forces (choses à garder) et les changements. Capturez-les mot pour mot en remplissant les colonnes. Arrêtez-vous lorsque les idées se tarissent, ou à la fin du temps imparti. Attendez quelques secondes. Souvenez vous de la force du silence.
- Remercier le groupe pour leur participation franche. Comparez les éléments recueillis avec ceux des précédentes rétrospectives pour voir si des « schémas » (patterns) apparaissent.
Lorsqu’il n’y a plus de place pour écrire dans chacune des colonnes, c’est également le signe que vous pouvez vous arrêter. Au pire, les idées qui ne rentrent pas pourront être évoquées lors de la prochaine rétrospective de rétrospective.
Autres usages de la rétrospective
Définir ses valeurs, façonner sa culture et son organisation
La rétrospective peut également être un formidable outil pour définir les valeurs fondamentales de votre équipe. Des valeurs qui peuvent ensuite évoluer dans le temps, d’où l’intérêt de faire de telles rétrospectives régulièrement, tous les trimestres par exemple. Vous l’aurez compris, dans ce genre de rétrospective on détourne les activités de recherches collective d’idées ou d’actions en recherches de valeurs et principes. Evidemment, le nombre de personnes peut être bien plus grand, ce qui peut influencer la durée et la technique d’animation. Tout comme les rétrospectives de release ou de projet qui sont également possibles.
Pour ces dernières, on peut ainsi identifier des améliorations susceptibles de toucher l’organisation toute entière plutôt que le processus de développement seul.
Premier pas vers l’agilité
La rétrospective est également une bonne façon d’introduire l’agilité dans une organisation. On permet ainsi à l’équipe de s’exprimer librement sur ce qui fonctionne bien aujourd’hui, ce qui mérite d’être amélioré et des actions qu’on peut mettre en oeuvre à court terme. L’équipe est ainsi impliquée dès le début et partie prenante sur les décisions de changements. Au coach agile ou Scrum Master de savoir proposer ce que l’agilité a à offrir.
Message de soutien
Si vous lisez ces mots, c’est qu’il y a de grandes chances pour que vous ayez lu cette fiche jusqu’au bout et je tiens à vous féliciter pour ça car nous prenons de moins en moins le temps de faire des lectures approfondies. Si vous débutez dans l’agilité, cet article pourrait vous décourager d’animer une rétrospective. C’est pourquoi je tiens à vous rassurer en vous disant ou vous rappelant que : « Vous n’avez pas besoin d’être parfait » et je dirai même plus « vous avez droit à l’erreur ». C’est un des grands atouts d’une approche agile.
Vous trouvez que votre première rétrospective manquait de quelque chose ? de fluidité ? d’idées ? d’améliorations concrètes ?… Ce n’est pas grave. Vous venez d’apprendre des choses que vous pourrez mettre à profit lors de la prochaine rétrospective. La seule chose que vous devez vous « obliger » à faire, c’est de renouveler cette rétrospective à la fin de chaque sprint ou itération et d’y consacrer le temps nécessaire. Même lorsque toute l’équipe se dit « je pense qu’on est rôdé, il n’y a plus grand chose à améliorer ». Les choses changent ou évoluent en permanence, il y a toujours des choses à améliorer. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, ça ne fait jamais de mal de se poser tous ensemble quelques heures après une période d’effort soutenu.